Comptoirs (10)

Publié le par La rebellion des orphelins

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Mais je n'arrive pas à dormir.

C'est pas que quelque chose me fout le moral en l'air. Je me tourne dans tous les sens, je me lève fumer une cigarette, je ne tiens pas en place. Une engueulade a éclaté à l'étage et je n'ai pas la force de crier que je veux du silence.

La caserne de pompiers n'est pas si bruyante que ça mais je suis obnubilé par le cliquettement du panneau lumineux annonçant l'hôtel. C'est vrai, jamais il ne m'a autant perturbé. Je me persuade que le sommeil va se pointer mais progressivement je deviens limite parano et j'entends de plus en plus de bruits.

Je me lève, excédé par tant de percussions et décide d'aller prendre l'air. En descendant l'escalier, je croise un mec à l'air très louche vêtu d'un grand imper beige, d'un chapeau et d'une paire de lunettes de soleil. Je mets quelques marches à me rendre compte de l'étrangeté de l'accessoire à une heure pareille. Mais après tout, il est peut-être aveugle. Arrivé à la réception, je l'ai déjà oublié et je salue à nouveau Florence qui me regarde drôlement comme si j'étais une bête sortant de son trou. Du coup, je me rappelle que je dois pas être bien beau avec mes frusques et mon air d'oiseau de nuit.  À cet instant, je dois ressembler au croisement d'un épouvantail et d'une réceptionniste d'hôtel.

Je sors et me mets à marcher très vite comme s'il fallait que je rattrape mon sommeil. Dix mètres comme ça et je comprends que c'est parfaitement inutile et qu'en plus mes chaussures me font mal.

Sur ma droite se trouvent deux gars qui boivent de la vinasse et devant moi une bande de jeunes qui parlent fort lançant à tout va des poèmes qu'ils ont probablement écrits eux mêmes quand ils avaient huit ans. Ou peut-être est ce l'alcool.

Au bout de ma rue s'agglutine un paquet de monde.

Il semble y avoir un petit spectacle de rue car j'entends des rires et des éclats de voix à répétition. Arrivé à une vingtaine de mètres du groupe, j'aperçois un homme monté sur une sorte de plateau dont la seule façon d'y monter doit consister à grimper une gouttière. Il parle, fait de grands gestes de manière très théâtrale. Je ne peux guère avancer plus vu tous ces rats d'égouts et ces chats de gouttière, travailleurs de la nuit parisienne qui semblent avoir réservé leur place pour cette représentation.

Je n'arrive pas a discerner ses traits mais quelle importance, je l'entends, je vois ses gestes.

Il parle bien.

Quand il parle d'une femme, le public semble songeur.

Quand il enchaîne sur une petite histoire qui aurait eu lieu dans le quartier entre un libraire et une prostitué les gens se marrent. Il fait réagir et laisse la parole à ses fans.

L'un d'eux veut une poésie, le conteur devient poète.

L'autre veut connaître le concert à voir dans les prochains jours, le conteur devient le guide des bonnes soirées.

 

Ce mec a de la classe malgré ses habits bien trop vieux. Quelle présence sur scène et quelle voix communicative, presque familière. Et bientôt tout se finit, les gens comprennent que ça l'est. Je ne bouge pas, c'est agréable parce que maintenant je sens le sommeil me traverser comme ça, doucement.

Je regarde vers la scène improvisée et ne voit plus personne là où le conteur se trouvait quelques secondes plus tard.

Ah mais il est juste à côté à descendre la gouttière. D'ailleurs il a l'air d'avoir du mal. Ahah je me marre bien. Il paraît bien plus petit et son chapeau lui donne plus d'air du tout. Je vais l'aider quand même par compassion pour ces moments à rayer dans une vie. Un peu comme quand on se pince les doigts dans une porte ou qu'on glisse dans la rue.

 

- Laissez moi vous aider, je lui lance, un mètre plus bas.

- Ah, ça m'plait bien ça réplique t'il. Je propose une courte échelle inverse.

C'est très simple, imaginez un film où un homme fait la courte échelle à un autre. Très bien. Vous l'avez. Maintenant, à la fin de la scène, vous revenez en arrière tout en gardant la même vitesse de projection. Bon. Eh bien Voilà. Vous y êtes !

 

Il a l'air content de m'avoir dit ça. Je suis pas débile. Il me prend pour un gosse celui là.

Il descend. C'est Frank, le Philosophe de Comptoir.

- Eh Eug' ! s'exclame t'il

- Frank ! Qu'est ce que je suis content de te revoir, c'est dingue je doutais même de ton existence

- Maintenant tu en es sûr ? réplique t'il curieux.

- Euh... oui

- ... Mhh, Eug' mon pote Eug' il faut que je te laisse, j'imagine qu'on se recroisera. Je t'en raconterai des bonnes.

 

Là dessus il est parti. Et moi aussi. Naturellement. C'est dingue l'excès de sympathie qu'on peut avoir des fois.

Le conteur. Ahah.

Je rentre à l'hôtel, file dans mon lit et m'endors immédiatement.

Comme si un personnage venu d'un songe m'avait donné la clef du sommeil.

Ah non, il est 5h du matin.

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F
ca serait cool que franck existe pour de vrai, un Eugène parlant!
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